Les Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019, publiées le 25 avril, abordent les défis du marché du travail soulevés par la numérisation et la mondialisation, avec une vue sur les défis projetés pour l’avenir du travail. Le TUAC accueille très favorablement le message clé de l’OCDE : un appel à un « Programme de transition pour un avenir qui fonctionne pour tous » – unprogrammequi met « davantage l’accent sur la négociation collective et le dialogue social« . Les décideurs politiques ont la responsabilité de façonner le changement technologique. « Faute de quoi, affirme le rapport, l’avenir du travail sera marqué par des clivages sociaux plus profonds et un mécontentement croissant, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives sur la productivité, la croissance, le bien-être et la cohésion sociale.
Principales conclusions et recommandations de l’OCDE :
- L’avenir n’est pas « sans emploi », mais nécessite des mesures transitoires massives.
- Les « nouvelles » formes d’emploi atypique mettent en lumière d’anciens défis et placent de plus en plus de travailleurs dans une zone grise où leur statut d’emploi doit être clarifié.
- De forts déséquilibres de pouvoir sur le marché du travail favorisent les entreprises au détriment des travailleurs et tendent à exercer une pression à la baisse sur les emplois et les salaires.
Commentaires et conclusions du TUAC :
- La reconnaissance formelle par l’OCDE de la nécessité d’un « programme de transition » fondé sur les droits, qu’il convient à présent d’affiner.
À l’avenir, il conviendrait d’établir un lien plus étroit avec les défis liés à la transition des travailleurs vers un avenir à faible émission de carbone et avec un programme d’investissement public plus large ; - Un soutien et une analyse plus explicites de la négociation sectorielle comme moyen de mutualiser les risques en cas de restructuration et de fixer des planchers salariaux ;
- Les formes « innovantes » de contrats de travail doivent être fermement mises en regard des garanties de protection collective et individuelle.

Perspectives de l'emploi - Principales conclusions (Source : OCDE)
Principales conclusions et recommandations de l’OCDE
L’avenir n’est pas « sans emploi », mais nécessite des mesures transitoires massives.
L’OCDE estime que 14 % des emplois existants sont exposés à un risque élevé d’automatisation, ce qui est nettement moins que ce qui avait été supposé dans d’autres études, mais reste très élevé en termes numériques compte tenu du court laps de temps (les 15 à 20 prochaines années). En outre, un tiers des professions existantes verront le contenu de leurs tâches et la manière dont elles sont exécutées changer de manière substantielle. Des besoins de transition se feront donc sentir. L’OCDE s’appuie largement sur les résultats de l’enquête PIAAC de 2012 et devra faire davantage à l’avenir pour formuler des recommandations sectorielles plus précises. D’un point de vue positif, la rotation des emplois pourrait augmenter car de nouveaux emplois seront créés et remplaceront ceux qui sont rendus inutiles par l’automatisation. Cela implique d’investir dans des systèmes de formation, des services d’emploi efficaces et des allocations de chômage adéquates pour aider les travailleurs à accéder à de nouveaux emplois. Toutefois, le rapport n’entre pas dans les détails spécifiques des différents piliers des plans de transition et ne va pas jusqu’à approuver le concept de transition juste. À l’avenir, il conviendrait d’établir un lien plus étroit avec les défis liés à la transition des travailleurs vers un avenir à faible émission de carbone.
Les « nouvelles » formes d’emploi mettent en lumière d’anciens défis.
L’emploi standard, à durée indéterminée et à temps plein, représente toujours la majorité des emplois dans l’OCDE, offrant aux travailleurs une plus grande certitude tout en permettant aux entreprises de fidéliser leurs employés et d’accroître leur productivité. En tant que principale « nouvelle forme d’emploi atypique », le travail sur plateforme est limité à 0,5 ou 1 % de l’emploi total (selon les données de l’OCDE) et certains signes indiquent que sa croissance est déjà en train de ralentir. Dans le même temps, l’incidence significative du travail atypique et la mauvaise qualité des emplois qui en découle, notamment les salaires inférieurs et l’accès réduit à la protection sociale et à la formation pour les travailleurs, constituent une source d’inquiétude évidente. Cette érosion de la qualité de l’emploi se produit depuis des décennies, et le rapport note qu’environ 1 travailleur de l’OCDE sur 7 est un travailleur indépendant ; la transformation numérique ne fait qu’accroître l’urgence d’agir. L’OCDE insiste sur l’importance du statut de l’emploi comme porte d’entrée vers les droits et protections des travailleurs, tels que le droit à un salaire minimum, la protection contre le licenciement, les prestations sociales ou le droit à la négociation collective. Concrètement, l’OCDE recommande de (i) définir clairement et faire respecter le statut de salarié par rapport à celui de travailleur indépendant, (ii) s’attaquer au problème de la classification erronée des travailleurs et (iii) étendre (certaines parties) du marché du travail et de la protection sociale aux travailleurs indépendants ou aux travailleurs qui restent dans une « zone grise » mais qui se trouvent dans une position vulnérable sur le marché du travail. Ces conclusions sont les bienvenues.
De forts déséquilibres de pouvoir favorisent les entreprises au détriment des travailleurs et tendent à exercer une pression à la baisse sur la qualité des emplois et des salaires.
La négociation collective et le dialogue social peuvent contribuer à relever les défis et à saisir les opportunités d’un monde du travail en mutation. Comme le soulignent les Perspectives : « La négociation collective, tant au niveau sectoriel qu’au niveau de l’entreprise, peut également aider les entreprises à s’adapter, grâce à des accords sur mesure et à des ajustements de l’organisation du travail pour répondre à leurs besoins spécifiques. » La négociation collective peut, comme l’illustrent les Perspectives :
- définir de nouveaux droits, notamment le droit de se déconnecter du travail et d’ajuster les salaires, le temps de travail et l’organisation du travail
- compléter les politiques publiques du marché du travail en soutenant les travailleurs déplacés (comme le font par exemple les conseils suédois de sécurité de l’emploi) ;
- anticiper les besoins en compétences et garantir l’accès à l’apprentissage tout au long de la vie pour s’adapter aux changements en cours en gérant, concevant et finançant des programmes de formation pour les travailleurs ;
- permettre une mise en œuvre plus souple et plus pragmatique de la réglementation du marché du travail.
Le déclin de l’affiliation syndicale, qui est passée de 30 % en 1985 à 16 % en 2016, et les difficultés rencontrées par les syndicats pour atteindre les travailleurs atypiques sont reconnus. Cependant, l’OCDE confirme également que de nouvelles initiatives sont développées par les syndicats pour s’adapter à l’évolution du monde du travail (ouverture de l’affiliation aux travailleurs atypiques ou indépendants, négociation de conventions collectives avec les entreprises plateformes, engagement dans l’offre de formation). Pour permettre aux différents types de travailleurs d’accéder à la négociation collective, l’OCDE souligne l’importance d’une classification correcte du statut de l’emploi. Les Perspectives suggèrent d’étendre l’affiliation syndicale à de nouvelles formes de travail :
- adapter le droit du travail pour donner aux travailleurs de la « zone grise » (entrepreneurs dépendants, faux indépendants) le droit à la négociation collective ;
- l’exemption de certaines formes de travail indépendant de l’interdiction de négocier collectivement, en particulier dans le cadre de la législation sur la concurrence ou les cartels.
Il est important de noter que l’OCDE souligne que ces mesures ne doivent pas être envisagées uniquement pour des raisons d’équité, mais aussi pour des raisons d’efficacité, car, en leur absence, les acheteurs peuvent disposer d’un pouvoir disproportionné, ce qui fait baisser les salaires et les performances en matière d’emploi, comme le décrit le modèle de monopsone sur le marché du travail.
Commentaires du TUAC
Si les Perspectives de l’emploi de l’OCDE offrent un cadre bienvenu pour un programme de transition, une demande politique clé du TUAC ces dernières années, un examen plus approfondi suggère que certains points politiques clés auraient pu être affinés et pourraient constituer la base du futur programme de travail de l’OCDE.
Manque de détails sur la manière dont les transitions doivent être gérées.
Elle insiste sur le fait que l’avenir n’est pas immuable et que les résultats du marché du travail dépendent de politiques qui gèrent l’introduction et la mise en œuvre concrètes de nouvelles technologies et contribuent à garantir un changement productif où les opportunités et les avantages sont partagés équitablement. C’est dans cette optique qu’il faut considérer les données de l’OCDE sur les compétences des travailleurs (6 travailleurs de l’OCDE sur 10 n’ont pas de compétences informatiques de base) et sur la démographie des travailleurs (plus de 50 % des populations de l’OCDE pourraient avoir plus de 65 ans d’ici à 2050). Le « programme de transition » préconisé par l’OCDE appelle à « mettre davantage l’accent » sur les droits des travailleurs et la négociation collective. Le rapport souligne la nécessité de renforcer, d’appliquer et d’étendre le droit du travail en ce qui concerne la définition d’un employé, ainsi que la négociation collective et le dialogue social pour les formes de travail atypiques. Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, les moyens nécessaires aux transitions d’un emploi à l’autre méritent une plus grande attention. Un plan de transition juste repose normalement sur quatre piliers : (1) la réglementation du marché du travail, (2) les relations de travail, le dialogue social et la négociation collective, (3) l’éducation et la formation des adultes, et (4) la protection sociale. Comme le confirment les Perspectives, les coûts de transition seront élevés, ce qui nécessitera un ensemble de politiques incluant « la fiscalité et même le logement, les transports, le droit de la concurrence et la politique industrielle« . À l’avenir, il serait utile d’examiner le financement et la gouvernance des fonds de transition pour permettre la création d’emplois de qualité, notamment par des investissements dans les infrastructures, les régions/communautés qui accusent un retard (comme le confirment les Perspectives) ou les équipements publics, tels que les systèmes d’orientation professionnelle ou d’enseignement et de formation professionnels pour adultes.
Avantages de la négociation sectorielle qui auraient pu être mieux mis en évidence.
Dans le rapport, le soutien de l’OCDE aux conventions collectives sectorielles est très encourageant, en particulier dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie et de l’accès aux compétences. Tout en mentionnant les avantages de la négociation multi-employeurs ou sectorielle, le rapport manque toutefois l’occasion de les décrire plus en détail, notamment en ce qui concerne : la mise en commun des risques liés au marché du travail, tels que le risque de restructuration et de déplacement des travailleurs, mais aussi les nouveaux accords sur la formation et le temps de travail. La négociation multi-employeurs fournit, entre autres, un cadre de coordination pour surmonter la défaillance du marché qui fait que les employeurs individuels et les PME n’investissent pas ou ne sont pas en mesure d’investir dans l’amélioration des compétences des travailleurs. Elle permet de couvrir toutes les entreprises d’un secteur, quelle que soit leur taille ou qu’il s’agisse d’un nouvel entrant. Elle fixe également de nouvelles normes en ce qui concerne les nouveaux modèles de production, de prestation de services et de processus lorsque de nouvelles technologies sont déployées (comme le soulignent brièvement les perspectives). Si les marchés du travail futurs se caractérisent par un plus grand nombre de changements, tant en termes d’entrées et de sorties d’entreprises qu’en termes de travailleurs se retrouvant dans des emplois plus flexibles et à court terme, les conventions collectives fixant des normes et des garanties à l’échelle du secteur revêtent une importance particulière. Enfin, la négociation sectorielle tend à être associée à des taux de syndicalisation (et d’employeurs) plus élevés, ce que l’OCDE souhaite voir promu de manière plus générale.
des formes « innovantes » de contrats de travail sans les garanties collectives et individuelles nécessaires.
L’OCDE suggère une plus grande « diversité » et une « innovation continue » des contrats de travail afin de permettre une plus grande flexibilité tant pour les entreprises que pour les travailleurs. Dans la pratique, cependant, les formes nouvelles et « innovantes » de relations de travail se situent en marge du droit du travail existant et couvrent donc moins de droits et de protections. Elles sont utilisées par les entreprises pour obtenir un avantage concurrentiel en cherchant toutes les portes de sortie possibles pour être exemptées du respect des droits des travailleurs ou des obligations fiscales établis. En l’absence de garanties claires et explicites sur les protections individuelles et collectives, l’appel de l’OCDE à « l’innovation » est une recommandation qui pourrait être interprétée comme ouvrant la voie à un nivellement par le bas. L’OCDE devrait plutôt s’inspirer de ses réflexions sur le lien entre les emplois de qualité et la flexibilité et sur la manière de promouvoir ces deux éléments en termes d’amélioration du bien-être sur le lieu de travail (temps de travail, congés pour responsabilités familiales ou formation). Enfin, le point de vue de l’OCDE sur la négociation collective, qui offre plus de flexibilité pour s’écarter du droit du travail, devrait être traité avec prudence, lorsque de tels conseils politiques conduisent en pratique à vider de leur substance les principes clés de la protection des travailleurs et du droit du travail eux-mêmes. Le rapport ajoute des conditions assez strictes (dans « un cadre qui garantit le respect des droits fondamentaux du travail et l’équilibre du pouvoir de négociation », l’adaptation des salaires et de l’organisation du travail d’une « manière plus souple et plus pragmatique – mais aussi plus juste – que celle qu’implique une modification du droit du travail ». Ces conditions essentielles se trouvent dans le corps du texte, elles auraient pu être mises en évidence dans les conclusions clés du chapitre concerné.